lundi 19 janvier 2015

Charlie, balle de break ?

Permettez-moi de revenir, chère lectrice, sur cet article du Monde qui compila mercredi les réactions de certaines autorités et instances musulmanes à la suite de la parution du « Charlie Hebdo des survivants ». Après le rassemblement du 11, on aurait presque pu croire au miracle. Eh ben nan c’est loupé, faut croire qu’Allah, Dieu, etc. n’est pas si grand que ça : elle n’est pas passée, la « une ». A l’heure qu’il est, elle est même encore en travers des soutiens-gorge. Tout n’est pas pardonné.


La larme à l’œil, faisons donc la liste tristement linéaire des réactions des uns et des autres :
« Tout sauf le Prophète », a-t-on pu lire sur les banderoles des manifestants de Nouakchott. Impossible, les gars, aucun messie ni prophète n’a droit en France voltairienne à un traitement de faveur.
Une caricature « blasphématoire ». On est d’accord avec le Parlement pakistanais. On lui précise juste qu’en France, le blasphème est un droit. Un acte « haineux ». Alors là, non. Un acte irrespectueux, oui. Et l’irrespect, ça se respecte.
D’après le ministre pakistanais des affaires religieuses, « les médias qui ont publié ces croquis devraient être interdits, toutes les copies devraient être confisquées et brûlées ». De grâce, n’aggravons pas l’effet de serre.
« L’abus de la liberté d’expression, qui est répandu actuellement en Occident, n’est pas acceptable et doit être empêché. » Par quels moyens, s’il vous plait, Madame la porte-parole de la diplomatie iranienne ? Quelle horreur.
« Aujourd’hui, contrairement à dimanche, très peu de musulmans à travers le monde sont Charlie. » Pour le chef de la diplomatie jordanienne, « être Charlie » n’a donc rien à voir avec la liberté d’expression. Le seul avantage d’un slogan pas clair, c’est de faire taire les passions au moment de rendre hommage aux victimes.
Le Front d’action islamique, parti d’opposition jordanien, exige de Charlie Hebdo qu’« il présente des excuses pour cette atteinte délibérée ». Si elle avait le 06 du Prophète, la rédac’ ne manquerait pas de l’appeler !
 « Aucune personne sensée, quelles que soient ses convictions, sa religion ou sa foi, n’accepte qu’on ridiculise ses croyances » d’après le secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique. Je suis donc fou.
Certain grand ayatollah iranien évoque « une déclaration de guerre à tous les musulmans ».
Wha. Certains de nos amis, très français et très libres, appelleront ça de la connerie démesurée, et nous pourrons les comprendre. Mais au milieu de ce ramassis de réactions aussi grosses que mon coblogueur, certaines sortent de l’eau et ont au moins le mérite d’interpeler :
Selon le patriarche des coptes orthodoxes d’Égypte, cette insulte « ne contribue absolument pas à la paix mondiale ».
Pour le grand mufti d’Égypte, il s’agit d’« une provocation injustifiée à l’encontre des sentiments des musulmans du monde entier ».
Pour le grand mufti de Jérusalem, « cette insulte a blessé les sentiments de près de deux milliards de musulmans dans le monde ».
Permettez-moi, chère lectrice, de développer un peu. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de poser les bonnes questions et de résoudre les bons problèmes. En une semaine, le peuple français s’est rassuré sur ses valeurs séculaires mais s’est attiré bien des foudres ; force est de constater que l’après-sept-janvier est plus tendu que l’avant-sept-janvier. Or, une bonne question me semble être :
Notre aspiration très française à une liberté d’expression décomplexée par l’évolution de notre rapport à la religion justifie-t-elle de mettre en danger la coexistence pacifique des différentes communautés de ce monde ?
Arrêter les caricatures de Mahomet, au nom de la paix, est-ce vraiment donner raison aux barbares du 7 janvier ? Eux qui ont déjà tout perdu aux yeux d’Allah, Dieu, etc. et de chacun. Continuer les caricatures, c’est très flatteur pour la France car c’est poursuivre ce combat unique au monde qu’est celui des Lumières, mais c’est aussi continuer d’exacerber, dans ce même monde, des tensions déjà bien à vif, voire grossir les rangs des vengeurs. Est-il nécessaire que la France prenne ce risque majeur au nom de Voltaire ? Quid d’un break ? Quid de calmer le jeu ? Charlie, tu n’es pas méchant, tu es même très bon, tu es même génial, mais au vu des remous que tu crées, malgré ta bonté, dans la piscine de l’humanité, ne prendrais-tu pas une petite pause ? Ce ne serait pas de la peur ; ce serait aider le monde musulman. Lui donner le temps de réfléchir aux moyens d’attaquer, uni, serein, le mal à la racine : l’islamisme. Lui donner, au monde musulman, à ses éclairés, à ses intellectuels, à ses chefs spirituels, le temps de réformer l’Islam ! Et de grâce, gardons-nous de lui faire la leçon ! De lui imposer notre modèle ! Dans ce billet, à faire connaître, tout est si bien dit.

Peut-être qu’un jour – béni par Allah, Dieu, Jésus, Mahomet, etc. – à tant rire des dessins de Charlie Hebdo, tous les barbus et tous les imberbes se casseront une clavicule, tous ensemble. En attendant, la liberté d’expression de la France s’arrête là où commence l’avenir de l’Humanité.

10 commentaires:

  1. Mais donc, que défends tu ? Qu'il ne nous appartient pas d'imposer la liberté de blasphémer a nos voisins (C.H. est de toute manière interdit ou en voie d'interdiction dans les pays que tu cites) ? Fort bien, les valeurs morales sont relatives. Seulement, si je tolère que l'on soit lapidé ou fouetté pour ce que je considère comme des absurdités dans des coins riants de la péninsule Arabique, alors je n'ai pas à tolérer que l'on me dicte sur mon sol que le gribouillage de prophète est un crime répréhensible.

    Si je dois attendre avant de blasphémer que deux milliards de pékins aient réalisé que les religions sont des contes inculqués au berceau permettant de contrôler les masses et/ou de donner un sens à leur misérable existence (grosso merdo)... alors je risque de ne plus pouvoir gueuler "bordel de Dieu" avant de retourner à la terre.

    08b

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    1. Ah mon cher 08b, mes sentiments pacifistes ont refait surface. Je m’interroge sur les conséquences néfastes que pourrait avoir dans le monde la défense farouche de notre liberté d’expression. Car quand on est capable de violences pour protester contre un dessin, on est capable de penser France = CH = insultante = se venger. Je trouve que courir le risque de heurter un quart de l’humanité à chaque gribouillage de prophète, même si c’est un droit, est assez inconséquent. Bien sûr, CH n’a aucune intention méchante de heurter, mais un tel heurt est un fait, incompréhensible à nos yeux peut-être, mais bien réel et ressenti, vécu comme tel. Je ne trouve pas très responsable d’émettre une telle « une » à retentissement international en étant conscient des risques. On a vite fait de dire « Faut être con pour se sentir offensé par un dessin » mais c’est inutile, le mal est fait. On n’extirpera pas les « cons » de leur « connerie » en les offensant, on les y enfoncera… Éradiquer la « connerie », c’est-à-dire toutes sortes de fanatismes, par la réforme de la religion, l’éducation, etc., tel est le vrai sujet il me semble.

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    2. C'est certain, mais l'évolution des mentalités à l'étranger n'est pas de notre fait (est-ce bien réformable une religion d'ailleurs, la parole divine ne se discute pas !). J'ai plutôt l'impression que cet événement à participé à la prise de conscience des problèmes religieux pour de nombreux musulmans. Mais bon, je ne peux pas parler à leur place.

      Je comprends farpaitement ce que tu veux dire, mais c'est une forme de renoncement face à l'obscurantisme. Une chose qui me surprend (mais pourtant c'est dans la droite ligne des évènements depuis 9/11) c'est que pour une poignée de victimes tout le monde est prêt à renoncer à ses droits fondamentaux pour une hypothétique sécurité (en vrac flicage sur Internet, autocensure des médias, types armés et fouilles a tout coins de rue notamment). Lorsque les attentats n'appelleront plus aucune réaction (autre que judiciaire) alors le terrorisme aura échoué.

      08b

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    3. Petite précision, on ne dit pas réforme on dit exégèse. Ce qui est tout a fait possible pour une religion. Les religions chrétiennes l'ont fait (Concile vatican 2). C'est à dire accepter l'auto critique et séparer ce qui est contextuel à une époque de ce qui peut etre considérer comme universel. Pour l'Islam la question est plus compliqué du fait que c'est une religion dite révélée (Mahomet aurait reçu la parole de Dieu) et du fait du modèle de gouvernance de la Umma (ensemble des musulmans) que propose le Coran. Il s'agit du coup de séparer ce qui était applicable et avait du sens il y a 1400 ans de ce qui peut etre universaliser.
      Toute la difficulté de cette exégèse réside dans le fait qu'à la différence des catholiques qui ont le Pape comme autorité légitime, les musulmans n'ont pas de guide spirituel. Aujourd'hui les musulmans se réfèrent aux autorités religieuses de leur pays respectifs (grand mufti du Caire, Jerusalem, roi du Maroc considéré comme descendant de Mahomet, ...). D'où d'ailleurs l'absurdité d'un nouveau Califat. Les musulmans sont avant tout marocain, algérien, .... avant d'être musulman. La notion même de Umma unifié sous un même gouvernement n'intéresse que les extrémistes.
      Du coup quid de qui se charge de l'exégèse ? Peut elle être étendu automatiquement à tous les musulmans ou doit elle être local à chaque pays.

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    4. Maintenant revenons à la liberté d'expression Je trouve assez mesquins de parler d'une poignée de victime. Tant qu'on ne connait pas les victimes personnellement on s'en fout, mais le jour ou on est directement concerné les choses changent. Je n'ai personnellement pas envi de mourir pour le droit à la liberté d'expressions des autres. Ce n'est pas du renoncement c'est du bon sens.
      Soit dit en passant, se moquer de ce que les autres considèrent comme sacré et offensant est-il intelligent ? J'en doute. Je me garderai bien d'aller dire que la mère d'untel est une "grosse pute". Pourtant je ne la connais pas et je trouve bien débile qu'il s'y attache.
      Je ne comprend pas ce qu'on les athées trouvent drôle dans la moquerie permanente des religions. Qu'est ce qui peut bien vous motiver de nous dire que la religion c'est de la "merde" pour contrôler les masses ? Serait-ce de la frustration ? Est-ce que nous venons vous casser les noisettes pour vous rabâcher à longueur de journée que vous êtes débiles de ne croire en rien ? Non, on s'en balance comme de l'an quarante que vous croyez au père noël ou à la petite souris ! D'ailleurs vous êtes bien content le jour de noël de vous goinfrer de chocolats et d'ouvrir vos cadeaux. Tout comme pour les jours fériés. Vous êtes pas nombreux à vous battre pour bosser le jour de la sainte Vierge.
      Anti-religions mais profiteurs : faut pas déconner quand même !
      Plutôt que de nous expliquer qu'il est important de foutre tout le monde dans la merde en abusant de la liberté d'expression pour taper un peu plus fort la ou ça fait mal, pourquoi ne pas vous atteler à la monumental tache de faire respecter les valeurs de la France que nous avons hérité de votre chère révolution préférée : Liberté, Egalité, Fraternité. C'est plus compliqué d'un coup, il faut faire plus que critiquer ! Ouai parce que bon la devise, c'est bon pour le fronton de l'assemblée générale, après niveau application, il faut reconnaitre qu'il y en a qui sont plus égaux que d'autre !
      Même en étant un pauvre "pékin" de catholique, je suis très attaché à la liberté d'expression et je me fiche bien que l'on dessine le Pape cul nul mais franchement je trouve ça un peu niais voir un peu pipi caca. Il y a des problèmes infiniment plus important aujourd'hui en France et dans le Monde. Des gens meurent de faim, de froid, de soif, de la guerre, de la maladie parce que nous exploitons leur pays, mais on s'en fout, pourvu qu'on puisse caricaturer Mahomet. La société occidentale est bien égoïste et ses préoccupations ras des pâquerettes.

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    5. Quid du terrorisme : Les jeunes qui brule des drapeaux et des églises sont embrigadés, on leur bourre le crâne avec des conneries. Et en continuant nos provocations, d'autres viendront les aider. Pourquoi ? Parce que le niveau d'éducation est zéro dans leur pays. Pourquoi ? Parce que nous payons grassement leurs dictateurs pour qu'il nous file tout plein de contrat et que la population soit maintenue dans l'ignorance. Finalement on est responsable à tous les étages.
      Le terrorisme ne s'arrêtera pas parce que nous faisons du forcing avec nos caricatures. Le seul moyens de régler ce problème est de prendre du recul, de faire un pas en arrière pour limiter les prétextes d'embrigadement, et d'investir massivement, sans hypocrisie ni ingérence dans l'éducation ici et ailleurs.

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  2. Jerome :

    "Mais censurer Charlie Hebdo, même au nom de la paix, c’est donner raison aux barbares du 7 janvier."

    Je ne suis pas tout a fait d'accord.

    Les habitants de pays ou la notion de démocratie ou d'égalité strict entre les individus est totalement inconcevable car en opposition avec la structure même de la société, je pense notamment à l'Inde pour l'égalité ou l'Afghanistan pour la démocratie, doivent-il se voir imposer la vision Occidentale de sa régie de la société et de sa gouvernance politique ?

    Notre aspiration de liberté d'expression décomplexée par notre "évolution" dans notre rapport à la religion, justifie t-elle la mise en danger des autres ? Les chrétiens d'Orient ou d'Afrique sub-saharienne ainsi que les musulmans attachés aux vrais valeurs de paix et de tolérance de l'Islam et toutes les minorités religieuses menacées par Daesh, Boko Haram et autres extrémistes doivent t-elles subir le prix du sang et des larmes parce que, nous Occidentaux, confortablement installés dans notre canapé nous revendiquons le droit à la liberté d'expression alors que d'autres, ceux-la même que nous mettons en danger, doivent se battre pour le simple droit à la vie ?

    Provoquer les extrémistes qu'ils soient djihadistes ou adeptes des théories rétrogrades des salafistes et continuer à nous considérer comme les régisseurs de l'ordre de ce monde conduira inexorablement à leur donner plus de poids et les mettre en valeurs pour des jeunes sans repères, galvaniser par le mépris que nous avons de la valeur de la vie des autres.
    17 morts en France en trois jours et nous convions le monde entier à une manifestation pour la liberté et l'égalité, mais dans laquelle bon nombre de musulmans et d'étrangers se sont fait copieusement insulter.
    2000 morts en une semaine au Nigéria, des villages et villes rasées, des femmes et filles violées, des hommes exterminés et à peine une brève dans les journaux.

    Chaque intervention militaire soit disant libératrice que nous menons n'est motivé que par l'appat du gain et notre incommensurable sentiment de supériorité sur un monde de "sauvages moyen-ageux".
    Nous finançons des groupes qu'ils soient religieux extrémistes ou simple rebelles assoiffés de sang et de vengeance pour orienter l'issus d'un conflit ou mettre en place un dictateur qui nous est favorable, mais que nous ne manquerons pas de faire sauter dès qu'il ne nous attribuera pas de juteux contrats. L'Afrique sub-saharienne en est le meilleur exemple.

    Peut-être est-il temps de nous remettre en question et d'ouvrir les yeux sur l'effet dévastateur de nos provocations et de notre arrogance.

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  3. Alors oui l'Islam doit être réformée pour revenir à ses vrais racines de tolérance, de paix, d'humanisme et d'ouverture sur le monde et expier le monstre qu'est le terrorisme islamiste.
    Mais cela ne nous empêche pas de reconnaitre nos responsabilités. Si l'Islam a accouché de l'islamisme, nous en avons été la sage femme. Nous pensions pouvoir contrôlé ces groupes et les soumettre à notre domination en les finançant et les armant pour qu'ils fassent le sale boulot à notre place et que nous puissions assoir un peu plus notre domination. Mais nous avons eu tors et chaque interventions militaires irréfléchis n'a fait que pousser les communautés a se replier sur elle même et à permis aux extrémistes de voir leur auditoire grandir.

    Provoquer des gens pour qui le sacré est intouchable, même si nous ne comprenons pas cette intouchabilités, ne résoudra pas les problèmes de l'Islam. Au contraire elle le poussera un peu plus vers l'enfermement et le rejet de l'Occident "impérialiste" et "irrespectueux" ainsi que de ses moeurs "débridés".
    Si l'islamisme est le problème de l'Islam alors laissons les musulmans éclairés régler ce problème sans nous porter en donneur de leçon que nous refusons d'appliquer à nous même. L'Islam d'aujourd'hui est peut être intolérant mais notre société francaise si fière de ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité l'est aussi.
    Si nous avons donnée au monde la "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme" nous nous devons d'assumer notre devoir d'exemplarité.

    La définition de liberté d'expression n'est peut être pas universelle après tout et en user avec prudence est peut-être préférable.
    Peut-être devrions nous prendre cette définition :

    "La liberté d'expression s'arrête la où commence l'avenir de l'Humanité"

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  4. Ci-dessus post de Jérôme qui a étayé cet article. Merci à notre sorcier préféré.

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