lundi 29 décembre 2014

Nous triathlons, vous triathlêtes

Le sport est une activité consistant à prendre du plaisir dans la souffrance de chacun de ses muscles au cours d'un effort physique volontairement infligé. Le sportif, par extension, est un aliéné qui se flagelle de l'intérieur et qui parvient à en tirer un bonheur pur, sinon une extase rare. 
Le pratiquant sportif peut ainsi se résumer à une forme d'auto-souffre-douleur compulsif mais satisfait en recherche perpétuelle des limites de ses ischio-jambiers, de ses alvéoles pulmonaires ou de ses cubitus latéraux. 

Ceci étant dit, il existe une catégorie qui va au-delà du sportif, quelque chose de métasport, un être métafort : le triathlète. 

Ce mammifère bipède fou furieux de l'effort prend son pied à mixer trois des sports les plus exigeants de la planète : natation, cyclisme et course à pied. Par amour pour l'endurance et pour le moule-bite, le triathlète se jettera à l'eau, nagera, en ressortira trempé, enlèvera son premier moule-bite, se sèchera, enfilera un autre-moule-bite, enfourchera un vélo, roulera, s'arrêtera, réajustera son moule-bite* et s'en ira courir et mourir plus loin, là où une ligne blanche mettra fin à sa course, au royaume de la tripe crachée à la mode Dukan. 

Un dimanche de début septembre, à 8h et dans une brume matinale qui aurait su planquer un tueur au détour d'un arbre, je me réveillai en moule-bite au bord d'un lac verdâtre et froid à regretter chacun des ordres du "starter", ce mec qui beugle un décompte de 10 à 0 dans un micro plein d'arsène. C'est le même job qu'égrainer les dernières secondes précédant le lancement d'un module spatial, mais avec 16 années d'études en moins. 
Et quand vint le "Zéro" et alors que j'en étais à balbutier quelque chose comme "que Ton nom soit sanctifié",  l'armée de slips de bains dans laquelle j'étais enrégimenté s'élança furieusement dans l'eau. Le calme de la flotte douce fut violé, comme si cette sereine nappe d'H2O entrait subitement en ébullition. 

Alors nous devenons les spaghetti de ce bouillon. C'est un Omaha Beach à l'envers. C'est la fête du slip de bain. En me voyant me débattre fébrilement avec l'eau, les sirènes du port d'Alexandre rient. La brasse que je nage coulée me fait découvrir une couleur verte et nauséabonde. Je baigne dans la bile fiévreuse d'un étudiant au sortir d'une soirée open bar. Je reçois des coups de pied, des coups de coude, des coups de bonnet de bain mais aucun coup de main. Je nage dans un banc d'humains. Mes poumons ont la migraine, mes épaules convulsent, mon estomac se digère lui-même. Chaque inspiration me donne à boire une ou deux gouttes d'eau à la vase. Je rame sans pagaie et je flotte sans bateau. Je largue les homards. Je suis un homme à l'amère. Je suis dans l'eau de là et dans l'eau d'ici de l'eau mère. La vague alarme, je vogue ma galère. 

Enfin j'ai pied, quel pied ! Le tapis rouge est déroulé à la sortie du lac pour ne pas glisser. C'est un festival de cannes qui courent. Oui, parce que marcher à la sortie de l'eau, c'est pour les faibles. Alors je cours et je me raccroche à l'avis des maux qui m'entourent.

J'arrive au stand. Strip-tease. J'enfourche ma bicyclette. "Y'a même pas Paulette" me dit Yves en montant.  

Les cols sont corsés, des vraies côtes de porc. Le plat n'est pas un dessert, même si j'ai une bonne descente. Sentant poindre l'indigestion et arriver l'envie de vomir, mon estomac me dit "gère". Je ravale mes sucs et ma fierté, j'accepte d'en baver et de malmener mon intestin frêle. Je quitte mon vélo une heure plus tard.

Nager et enchainer par du cyclisme, ceci pourrait s'appeler la roue-coulée, mais je ne suis pas un pigeon, je sais qu'il faut encore courir. Je prends donc le problème à mon cou et mes jambes à bras le corps. Je dois courir alors ma fatigue fait en sorte de marcher vite. En franchissant la ligne blanche, j'ai la gerbe, mais pas celle que l'on remet au vainqueur. 

Cinquantième sur deux-cent. 

J'ai aimé ma course, j'ai kiffé ma race (en anglais dans le texte). 

Allongé dans l'herbe en Jésus je gis. Je suis dans les clous, personne ne m'a crucifié même si plusieurs fois mes poumons ont cru siffler. Mais mon chemin de croix est terminé et, avant que s'en mêle Gibson, Amen je vous le dis : "le triathlon, c'est ma Passion"

*Les lecteurs choqués par l'emploi répété et abusé du terme "moule-bite" n'auront qu'à le remplacer par "slip de bain" ou "slop", tout aussi élégants



mardi 23 décembre 2014

Esprit de Noël

Ça sentait le sapin depuis un petit moment. Cette année, tout commença place Vendôme. Un beau matin d’octobre où il faisait vingt degrés, les nez fins qui sortaient du Ritz se plaignirent de ne point humer, comme à l’accoutumée, cette fragrance « très Paris » des gaz d’échappement. Bien pire, ils déplorèrent une vieille odeur de sapin, intenable – comme toute odeur d’ailleurs. Ils soupçonnèrent d’abord le plus mort de la place, Napoléon Bonaparte, avant de se souvenir « qu’il était enterré au père Lachaise ». Très intrigués, ils prirent le taxi pour aller inspecter les moindres recoins de la place. Ils n’avaient pas fait dix mètres qu’un piquet de chantier immobile les arrêta : on procédait à l’érection de Tree, en vert ; et contre tous ? Deux jours durant, il émana du jouet géant une odeur de sapin selon les uns, de merde selon les autres, qui finit par gagner la France entière. Maintenant, tout le monde a bien les boules : c’est Noël. 


Et qui dit Noël dit… esprit de Noël. L’esprit de Noël est à Noël ce que l’esprit de Pâques est à Pâques. De même que l’esprit de l’Epiphanie, c’est la galette, l’esprit de Noël, c’est… la gerbe. Vous rappelez-vous le 1er décembre, ce lundi où vous vous ruâtes sur les chocolats du calendrier de l’Avent ? Et après, me direz-vous ? Ben après… C’est pareil ! On ne change pas un bide qui gagne ! Le foie gras, le saumon, les huîtres, le caviar, le chapon, les marrons, la bûche, les papillotes ! « On est foutus, on mange trop ! » 

Comme le disait un autre artiste de renom, l’esprit de Noël, c’est « la grande bouffe »… « Et les p’tits cadeaux » ! Car à Noël, on pense aux autres. Au p’tit Jésus par exemple, qu’on remercie d’être né car sans lui, on ne serait pas tant gâtés ! On remercie aussi Joseph et Marie de s’être aimés dans la mangeoire. C’est vrai, quoi ! Sans eux, le 24, ce serait seulement la sainte Adèle. Sans demander l’avis d’Adèle, on regarderait des photos d’elle, pour éviter de se faire trop chier… Et puis le 25, ce serait seulement la saint Noël, mais on ne regarderait pas des photos de Mamère pour autant ! 

A Noël, on nous vend beaucoup de rêve. Comme des cons, on achète. A la télé, dans les journaux, on nous vend des flocons blancs comme neige, pour ne citer qu’eux. Tout ce qu’on récolte, c’est cette bouillasse grise qui tombe sur Paris une fois tous les dix ans, hot saison oblige. Noël, c’est quand même bien relou. C’est férié. Les crèches sont fermées. Faut se taper les mioches. Tu avais prévu de faire un bœuf entre amis ? Oublie, va falloir faire l’âne sous le sapin. Sentir les chaussettes de près. Faire croire que papa Noël avait les clés. C’est quand même le seul matin de l’année où on s’emmerde avec deux pères. Comme si un seul ne suffisait pas ! Une paire de pères, c’est comme la dinde, faut se la farcir ! 

D’ailleurs, je me demande pourquoi on parle d’esprit de Noël. Je ne trouve pas qu’il y ait plus d’esprit à la Noël qu’à la Chandeleur. Comme toujours, la blagounette à deux boules fait sourire, mais pas assez pour se casser une clavicule. Voyez plutôt : les rennes sont bretons !