dimanche 11 janvier 2015

L’irrévérence, ça se respecte !

C’est en pleine Merde du Nord que j’appris la nouvelle. Elle sortit de la bouche culotte (voilà ce qui arrive quand on a la tête dans le cul) d’un collègue bon vivant que je citerai si j’ai envie. Ce bon vivant, qui n’était d’ailleurs à l’heure qu’il était ni bien bon ni bien vif dans son une-pièce à deux balles, me regardait de son air hagard, suppliant qu’il était de lire sur ma tronche casquée la preuve de mon approbation, sinon globale, du moins partielle. Mais son histoire sonna si absurde à mes oreilles que je ne l’approuvai guère. J’étais même persuadé qu’il était saoul et le traitai de trou normand. Il m’en voulut. Je ne voulais pas du fruit défendu de son imagination, moi ! Nous travaillions dans le blizzard et je préférais manger ma pomme-dedans ! Mais il insista. Il haussa le gros ton ; il fallut faire le dos fin. Et si son histoire était vraie ?

En sortant de mon silence, je savais que j’entrais dans son jeu. Je finis par dire à mon trou (pas de Bâle, puisqu’il est normand) que son histoire me laissait pantois. « Pends-toi toi-même ! » qu’il me dit. Faut dire que nous étions sur la corde raide au milieu de cette mer, dans ce blizzard. « Faisons une pause » que je lui dis. Je lui proposai une partie de sud au cul mais il était trop à l’ouest pour jouer. Il valait mieux finir le travail avant que le ciel nous tombe sur la tête. Nous revînmes vite à nos boulons.

Voici l’histoire à laquelle je ne pouvais croire. Deux islamistes radicaux lourdement armés s’étaient introduits de force dans les locaux de Charlie Hebdo, en plein Paris, en pleine journée, assassinant douze personnes dont sept dessinateurs et rédacteurs, et en blessant onze. « Vous allez payer car vous avez insulté le Prophète ! » qu’ils ont gueulé. Montrer le Prophète à poil, fesses à l’air à la Brigitte Bardot, c’est insulter l’Islam, faut reconnaître. Parler de sa « pute de neuf ans », c’est aussi insulter l’Islam. « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles », faut dire que c’est insultant comme une. Tout comme le « dîner de cons » de Jésus, d’ailleurs. Représenter le Père, le Fils et le Saint-Esprit en train de concevoir Mgr Vingt-Trois. Christiane Taubira en singe, Marine Le Pen en merde, le pape François en Nabilla. C’est insultant, tout ça aussi.


Charlie Hebdo est un journal satirique irrespectueux par essence. Il est le symbole en France et dans le monde de la liberté d’expression sans limite. Charlie Hebdo traite tous les sujets, surtout les sensibles, avec la même irrévérence. « Aller trop loin » n’est pas Charlie Hebdo. Si on aime Charlie, on est triste aujourd'hui. Si on n’aime pas Charlie, on est triste aussi. Triste de voir des hommes opposer le feu des Kalachnikov à l’imagination des crayons et des plumes. Triste de voir des hommes déclarer la guerre armée à ceux, sans défense, qui ne font « que » penser tout haut. C’est ! Leur ! Droit ! Charlie Hebdo n’a jamais tué personne. Tuer n’est pas un droit.

« Tu insultes ma religion donc je te tue ; comme ça, tu ne recommenceras plus. » En ce début d’année 2015, ce simulacre de raisonnement est (encore) possible. Des hommes sont prêts à tout, même à mourir, pour le mettre en pratique. C’est contre ce genre de sauvagerie du corps et de l’esprit que le monde s'est uni aujourd'hui. C'est grand.


En ce début d’année 2015, il est pourtant des façons civilisées, de ne pas être d’accord : le débat ; de se défendre : le tribunal. Mais face aux provocations de Charlie Hebdo – ce que sont à l’Islam les caricatures de Mahomet – la meilleure des ripostes tient peut-être dans ces quelques phrases prononcées il y a deux ans, au nom des musulmans :
« Même si notre cœur est blessé, notre intelligence doit avoir la dignité de ne pas répondre et de regarder au-delà. […] La seule attitude noble, […] c’est d’ignorer ces attaques, regarder au dessus en disant nous sommes Français, nous sommes pour l’avenir de la France. »
Accepter nos différences et nos différends. Ces considérations dépassaient naturellement les cerveaux fanatisés des Kouachi-dessus (pour reprendre ce mot de mon co-blogueur). Ils ont cherché Charlie (sans que Charlie ne songe à les « chercher ») et l’ont malheureusement trouvé (sans que Charlie ne trouve malheureusement à qui parler). La puissance de leur mitraille n’est révélatrice que de l’inexistence de leur argumentation. Tuer est aveu d’impuissance. Même si, à compter les morts, on ne dirait pas. Charlie a perdu ses piliers et la France une partie de son élite. Il est de notre devoir de continuer la route et de faire de l’attentat du 7 janvier la victoire de nos valeurs.

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