dimanche 7 juin 2015

Métro de bonheur

Je suis pas-gai dans la rame. Il fait dehors trente-cinq degrés Stalingrad et moi, je suis là, dans ce trou.


Dans ce trou, sur les coups de midi, franchement je n’ai qu’une envie : pleurer, comme une madeleine, comme ils font à Saint-Ouen. Il faut bien pourtant que je prenne mon mal en patience. Dans moins d’une heure on y sera, au parc Monceau ! Francine a eu la riche idée aujourd’hui d’organiser un déjeuner sur l’herbe à la manière d’Edouard. Mais plus je me réjouis de ce futur brillant, plus je me désole, hélas ! de ce présent si terne. « T’en as marre, cadet ? » se moque de moi mon frère. Y a pas pire-aîné.
Il faut dire que ça fait un petit moment ce matin que je sillonne Paris en métropolitain. Pour un gars qui habite rue des Boulets, j’ai couru déjà au marché, quai de la Rapée, acheter des carottes, et du fromage aussi, rue Saint-Moret. C’est notre participation au pique-nique ! On sera nombreux.

Les nerfs à vif, je contiens ma colère avec peine. C’est pas croyable comme c’est toujours la même histoire sur la treize, le traditionnel ralentissement après Saint-Lazare, le fameux bouchon de Liège. En pareils moments, je pense à mes aïeux, avec leur labeur et leurs privations d’un autre siècle, qui me trouveraient bien ridicule à pester de la sorte pour aller glander plus vite. Je pense en particulier à Jean Louis Edgar, qui-naît à Bourg-en-Bresse le 17 février 1803 et qui dans un élan de clairvoyance, bien avant que mon-père-naisse, lui souhaitait déjà la bienvenue.
On en sort enfin de ce trou, mon frère m’accompagne, le temps est radieux, bonne nouvelle ! Les jardiniers de l’avenue-fauchent. Boulevard de Courcelles, devant le pavillon Ledoux, j’aperçois Francine, rousse, svelte, gambettes-à l’air, sublime. Elle s’y reprend à trois fois en me présentant des triplés : « Corentin, c’est l’thon, Richard, le noir et Louis, le blanc ». Et plein d’autres gentilles gens que je ne vais pas citer ! Nous franchissons la porte dorée.
Nous nous mettons bien vite en chasse d’un coin fait-d’herbe où délicatement déposer dans les gerbes nos augustes séants, en prenant garde aux mots de Cambronne malodorants largués par les Kléber du 17e gavés de rosbif. C’est Etienne-Marcel qui déniche le meilleur spot, à l’ombre d’un charme rouge. Raie-au-mur, Sébastien-Paul refuse de s’asseoir à cause des tiques-puces qui sur la-motte-piquaient.
Sur ces pelouses, Fabien, quel peuple ! Des gens comme toi et moi, Monsieur Tout le monde et Madame Toute Blonde venaient ici se vautrer sur la rase-paille dans l’espoir de bronzer un peu… Des petites gens bien normales, sans rien d’exceptionnel. Trop-pas-d’héros. On n’est pas tous des Laumière.
De belles plantes joggeuses que j’eusse-zieutées plus longuement si elles n’allaient pas si vite, me tournaient autour. J’étais sous le charme. Il ne manquait que des lits, là.

Billy, gin à la main, me tire de mes pensées pas du tout violemment en me tendant une bouteille. A Jules, j’offre-un verre de pinard, qu’il accepte, mais connaisseuse, sa mère-rit-de-mon-rouge. « Chavaux rien ! » qu’elle me dit. L’apéro alla bon train et très vite il nous sembla qu’on allait manquer ; Claude-Philibert, mis au courant-but-tôt.
Quand j’ouvre la glacière, car il faut bien se sustenter, c’est fou ! Toute la daube-en-tombe ! Sans faire exprès, Khaled avait apporté des Saint-Jacques, et surtout un jambon de Parme-entier. C’est comme un jambon mais à base de patate ! L’arnaque !


De toute façon je m’en bats-l’lard, de son jambon, je crois que je vais plutôt goûter au mouton en laisse qu’a traîné Horace, du Vernet. Bonté divine ! J’aurais-salé davantage.
Comme dessert il a ramené le Napo, Léon, Léna Wagram de fraises, et Emma les herbes… Je me souviens que Bob, dit l’âne, brayait du-rock à l’infini dans ma tête de mort, que Notre-Dame Deschamps, pressant-Gervais son petit, sur son cœur, changeait sa couche, tandis qu’aux chiottes Didier mirait-beaux ses ballons dans l’eau de Javel… Et que ce soir-là, en retard, les seins-placides, Eva-vint me rejoindre et que nous pique-niquâmes longtemps aux Gobelins avant que j’arrive-au-lit.

2 commentaires:

  1. De Groodt, sors de ce corps !
    J'ai pris du plaisir à te lire, mais il faudra que j'y revienne. Très joli texte, merci !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ton commentaire, ça fait plaisir ! Tu es le bienvenu sur les pages de notre jeune blog !

      Supprimer